L'intérêt de quinze jours de vacances, c'est que l'on peut se passer de tout ce qui est finalement complètement futile comme Internet, relire les livres que l'on aime et simplement apprécier la vie qui s'écoule. On peut aussi en profiter pour peaufiner la réponse que l'on a envie de faire à certaines assertions de plus en plus entendues à la radio, à la télévision et lues sur le réseau ou dans les journaux. On y réfléchit sans s'énerver, en regardant la mer étinceler sous le soleil de juillet, et les gosses qui s'amusent dans les rouleaux...
J'ai relu pour ma part « les enfants humiliés » de Bernanos, un manuscrit paumé par Bruckberger alors qu'il était militaire dans la Sarre, car celui-ci l'avait prêté à un de ses supérieurs qui l'avait égaré, et heureusement sauvé après la guerre pour paraître peu de temps après la mort de l'écrivain. La lecture de ce livre, comme d'ailleurs de tous les écrits de combats de Bernanos contredit tous les poncifs entendus sur son compte. Comme celui que l'on entend parfois énoncé par les historiens ou les exégètes de l'œuvre « Grand d'Espagne » : il y aurait un Bernanos catholique, traditionaliste monarchiste, anti-démocrate, antisémite, avant la Guerre d'Espagne, un fâchiste d'Action Française et celui d'après, un Bernanos rallié à la gauche, devenu démocrate-chrétien presque et catholique social, main dans la main avec les communistes. Les deux clichés sont deux énormes contresens, Bernanos est d'abord et avant tout un amoureux de la liberté qui déteste les compromis, les manquements à la vérité, les petites malhonnêtetés pour se maintenir à flots, qui se dira anti-démocrate jusqu'à la fin de sa vie ; peu de temps avant qu'il ne meurt, un journaliste américain l'interroge en commençant par « Vous qui êtes maintenant du camp des démocrates... », ce qui fait hurler Bernanos qui clame qu'il est toujours et monarchiste, et catholique et qu'il rejette la démocratie, du moins telle qu'elle se pratiquait à l'époque et se pratique encore maintenant.
Et il n'est certes pas parfait.
Mais l'amour de la vérité, et de la liberté sauvent tout chez lui.
On le voit mal lécher les bottes d'un grand homme, ou inaugurer des statues, celui-ci fût-il un général expatrié, et encore moins trahir ses idéaux de jeunesse. On le voit mal gaulliste, on ne l'imagine pas une seconde adhérer à l'UDR ou au RPF. On a du mal à l'imaginer courbé devant De Gaulle comme Mauriac.
De plus Bernanos ne pouvait se rallier aux soutiens d'une idéologie foncièrement arbitraire et réductrice, d'où qu'elle vienne, les intentions de cette idéologie fussent-elles généreuses au départ. En tant que chrétien et catholique, il sait tout le poids de sa conversion, que l'on ne peut être à la fois son ancienne enveloppe et le nouvel homme que l'on devient une fois que l'on comprend ce qu'implique la foi à savoir la Croix et la Résurrrection, que dealer avec l'un ou l'autre, modérer ses élans en s'adaptant au langage de la société telle qu'elle est contribuera à faire avancer les hommes vers un peu plus de joie, vers la communion des saints quitte à parfois passer pour un salaud qui ne joue pas le jeu (par exemple, je pense qu'un chrétien ne peut pas rigoler en entendant un/e ami/e raconter ses dernières frasques sexuelles alors que celui-ci est déjà engagé/e et prendre ça à la légère, et pour cet/te ami/e et pour ses conquêtes, et pour la personne avec laquelle il/elle est en couple). Un chrétien se doit de dénoncer l'eugénisme, les avortements en particulier, de se rappeler de la souffrance de la mère qui s'apprête à commettre ce geste, mais aussi de celle du médecin qui pratique l'IVG et des infirmières qui l'assiste, et surtout que chaque histoire est unique et donc irréductible à des slogans ou de grandes déclarations péremptoires ; dans « les enfants humiliés », Bernanos en parle sur quelques pages, prévoyant parfaitement les évolutions actuelles. De même il perçoit parfaitement la naissance de la société spectaculaire qui a besoin de sa dose quotidienne de violences virtuelles, de sexe au kilomètre, de plaisirs devant être immédiatement satisfaits, fussent-ils bestiaux.
Bernanos est un « fils de la Lumière » au sens où l'entend très bien Fabrice Hadjaj dans son livre, « la Foi des démons », ceux-ci ne sont pas très doués pour les ronds de jambes, l'obséquiosité et la frilosité des sentiments, ils ne savent pas se mettre en valeur et encore moins se comporter comme il faut dans le monde. Ils arrivent avec leurs gros sabots et mettent tout par terre, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, ils révèlent les hypocrisies, les petites mesquineries. Il faut les excuser, ils sont tellement heureux d'échapper à leur condition de primates encore livrés à leur animalité, celle-ci étant entretenue par le consumérisme, et de commencer à être un petit peu plus humains. Ceux qui se complaisent dans les ténèbres ont la nostalgie de la lumière hors de leur grotte platonicienne, ils voudraient bien en sortir mais c'est tellement confortable et puis il suffit parfois de se réclamer de Bernanos, ou Bloy, pour se sentir alors presque absous des petites saloperies que l'on est bien obligé de commettre pour plaire et rester en place ou plaire à au moins une partie du troupeau bêlant qui déteste qu'on mette en cause son confort intellectuel et spirituel mais aime bien faire comme si. Ces petites saloperies paraissent tellement peu importantes que l'on finit par ne plus y prendre garde.
Ceux-ci ne sont jamais éblouis par les soleils trompeurs, y compris ceux qui jouent les outsiders, les contradicteurs politiquement incorrects de service que l'on entend partout ce qui ne les empêche pas de clamer pour la plupart qu'ils sont censurés, ce qui est faux. Le monde est plein de salauds malgré eux de ce type, persuadés que leur compromission est indispensable à la bonne marche du monde, au progrès, que sais-je. Ceux qui se terrent au fond de leur caverne sont jaloux finalement de leurs congénères qui ont su se rapprocher un peu de la lumière, ils les envient, ils les rejettent, les insultent, les conchient sous différents prétextes, toujours un peu les mêmes. Pour eux, celle ou celui qui ne se compromet pas est un fou, un taré. Heureusement que ces salauds ont un discours finalement souvent inaudible, du café du commerce un peu amélioré à coups d'imparfaits du subjonctif et de considérations nombrilistes foireuses qui appâte le chaland. Ce sont des putes qui font des manières en somme pour causer d'eux et chercher qui dans une cause qui dans la vie du grand homme qu'ils se choisissent une manière de personnalité, ce dont ils sont cruellement dépourvus.
Bernanos étant un « fils de la Lumière » il n'est sûrement pas un maître à penser comme j'ai pu l'entendre. Bernanos est plutôt un capitaine d'infanterie, de ceux qui s'exposent au feu avec courage, et que l'on suit pour leur courage. J'ai personnellement horreur des maîtres à penser, des directeurs de conscience envahissants, des saints hommes ou réputés tels dans le troupeau qui sont souvent sincères au début de leurs prêches quant à leurs intentions et finissent toujours par poser au gourou et jouir du pouvoir, comme Jean de Leyde il y a longtemps, dont on peut lire l'histoire dans le livre passionnant de Greil Marcus, « Lipistick Traces » dont le propos est très proche de celui des « enfants humiliés » ou bien l'on peut aussi songer à certaines têtes pensantes, qui sont très proches finalement de Jean de Leyde, issues des communautés chrétiennes dites nouvelles actuelles, qui n'hésitent pas en plus à avoir recours à des techniques sectaires pour fidéliser la clientèle. La royauté de Jean de Leyde avait très bien commencé, sous les meilleurs auspices utopiques, bien sûr, elle s'est terminée dans un bain de sang. C'est le cas de toutes les utopies quand celles-ci sont appliquées de force au bon peuple pour le forcer à un bonheur qui ne saurait être qu'artificiel et arbitraire.