Sur Agoravox on parle aussi d'Ellroy et des femmes
« Pour un fanatique religieux de droite, j'ai trouvé que tu manquais de foi »
On trouve cette phrase dans le dernier livre de l'auteur de « L.A Confidential » et du « Dahlia Noir ».
C'est une femme qui le lui dit, une femme qui se moque des clichés sur cet auteur, qui le dit, il « fait son numéro » en jouant les croyants hyper-rigides et droitisé à l'extrême alors qu'au fond il doute de tout, y compris de lui, ne cherchant au fond qu'une chose, aimer, et trouver une forme de rédemption par l'écriture.
Car l'écriture est un enjeu existentiel, tout comme la lecture peut l'être, elle permet d'effacer pour un temps le cynisme, le désespoir et l'acédie que l'on est tenté de ressentir face à la médiocrité du monde. Elle fait oublier toute cette médiocrité, ces basses pulsions, ces haines, ces dégoûts que l'on peut ressentir face à la bêtise, à l'hypocrisie, aux faux semblants en général.
Les écrivains sont des types pitoyables et grandioses, des ratés aux yeux du monde, incapables de maitriser leurs pulsions ou leur émotivité, j'en ai encore eu la confirmation en lisant « La Malédiction Hilliker » de James Ellroy. Ellroy reste encore, cinquante ans après le meurtre de sa mère, un petit garçon livré à lui-même et terrifié, perturbé et amoureux d'elle, se croyant coupable de cette mort du fait d'une malédiction enfantine qu'il lança sur elle un soir de colère, comme les enfants le font quand ils se font gronder et qu'ils trouvent cela injuste.
Bien sûr, comme les enfants sont parfois beaucoup plus sérieux que les adultes dans leurs haines ou leurs amours, Ellroy à neuf ans s'est persuadé que la sienne avait fonctionné et qu'il avait tué sa mère.
Il en est d'autres qui recherchent des femmes qui ressemble à leur premier amour à jamais perdu, de grandes et minces jeunes brunes, et se perdent, qui croient la retrouver un temps, et se perdent, qui croient trouver l'Autre majuscule, la femme qui les consolera, et se perdent, et qui continuent quand même leur quête qui est aussi celle de ce qu'il y a de meilleur en eux, car ce n'est pas grave de sombrer, ce qui est grave est de porter un masque social et de jouer la comédie de l'adaptation alors que l'on sait que ce monde est grotesque et absurde.
Dans ce livre superbe, James Ellroy ne fait pas que se livrer sur son obsession des femmes, sur ses amours, sur la mort de sa mère et la nullité de son père, il explique aussi pourquoi on se met à écrire, pourquoi quelqu'un se met dans la tête que les mots qu'il aligne sur une feuille ou un écran auront un intérêt quelconque pour qui que ce soit. J'y retrouve le même genre de considérations brûlantes que dans le journal de Manchette ou la correspondance de Flaubert.
Qu'ils soient classés dans la boîte « classique », ou « de genre », les écrivains écrivent pour conjurer leurs nombreuses blessures, qu'ils écrivent pendant les périodes de rédemption, avant de se sentir à nouveau insatisfaits et de repartir en chasse.
Une partie d'Ellroy est sans doute mort une première fois ce jour du meurtre de Jean Hilliker.
A travers ses livres, il a cherché à exorciser tout cela, mais jamais de front, dans cet ouvrage il le fait pour de bon.
Il se confesse, à la fois pudique et exhibitionniste, altruiste et narcissique.
Il parle de sa compulsion pour les femmes, l'amour passionné et le seXXXe.
Et il reste un petit garçon terrifié encore après ce livre.
Dans « Ma part d'ombre », il avait déjà essayé d'enquêter sur ce traumatisme fondateur, de revenir sur les lieux où sa mère se perdait avec d'autres hommes, à l'endroit où on l'a assassinée, au cœur cette ville tentaculaire, décadente et fascinante qu'est toujours Los Angeles, la ville qui fait fantasmer encore maintenant les clampins du rêve et ceux qui veulent être célèbre à tout prix, même pour rien.
Ellroy est très souvent tombé amoureux, se jouant des films en Technicolor du fond de sa chambre pourrie à côté de Hancock Park, dans sa tanière minable, il passait des nuits dans le noir à attendre que le téléphone sonne, après avoir donné son numéro à une fille qui lui avait plu, et qui l'avait sans doute oublié dans la minute même, des filles aux cheveux auburn, sûres d'elles apparemment, comme Jean Hilliker, sa mère.
Ellroy se faisait des films, mais comme il l'avoue :
Il pensait surtout au seXXXe qui le torturait, le faisait se tordre de douleur, d'épouvante et de plaisir mêlés.
Il avait peur du seXXXe, peur des femmes aux cheveux auburn qui lui rappelait sa mère, et il avait envie d'elles pour conjurer le sort.
Il aimait le seXXXe et les images qu'il créait en lui.
Plutôt que d'être amoureux, il se vautrait dans son enfer personnel, entre l'ingestion d'amphétamines et des étreintes tarifées avec des professionnelles qui étaient comme souvent à Los Angeles des « occasionnelles » qui faisaient ça comme elles le prétendaient en « attendant un rôle », toutes prises au piège du miroir aux alouettes des collines de Burbank.
Toutes se disent que ce n'est pas grave de tapiner, et quand elles osent enfin se regarder dans le miroir, il est trop tard, elles sont définitivement marquées par l'alcool, les passes, et les médications diverses qu'elles prennent pour tenir le coup.
L'une d'elles le console un soir, comme un pauvre gamin, car il ne peut s'empêcher de pleurer, soudain lucide sur l'abîme où il s'enfonce.
Une autre soirée de dérive, il avale trop d'amphétamines et manque de mourir, et il s'en tire.
Avant de se mettre à écrire.
Il publie son premier roman et commence à vouloir fonder une famille, il veut des filles, mais il continue à chercher une femme aux cheveux auburn, à attendre leurs coups de fil dans l'obscurité, à se dire que c'est l'Autre majuscule qu'il vient de rencontrer et à ne pouvoir s'empêcher de regarder les autres femmes devant les cinémas, chez elles ou derrière les vites des « Dinners ».
Il se marie trois fois, divorce deux, il croit trouver la femme de ses rêves, celle qu'il avait déjà convoqué dans ses fantasmes quand il n'était encore qu'un drogué sans toit furetant dans les maisons bourgeoises et volant des dessous aux filles, un pauvre raté louche, obsédé et malade, qui du fond de la saleté de son âme en perdition espérait toujours retrouver un peu de lumière, un peu de clarté.
Peut-être Ellroy est-il de droite ?
Je ne sais pas. Il me semble que ce serait un classement réducteur, très réducteur. Il est certainement de droite, mais pas libéral, au sens qu'il rejette les idéologies utopiques prétendant faire le bonheur de l'Humanité même malgré eux.
Est-ce un fanatique religieux ?
Non plus, c'est un croyant sincère, qui sait que l'humanité existe encore même au plus profond de ceux qui se croient éloignés du divin, et méprisés en tant que tels par leurs congénères pour qui ils sont des alibis faciles.
Il sait que la foi ce n'est pas se croire parfait mais connaître ses faiblesses, ses manques, ses doutes, se savoir pitoyable, se voir dans sa vérité, voir donc aussi les autres avec acuité. Ce n'est pas une foi coupée à la moraline ou aux bons sentiments.
C'est la raison pour laquelle ses livres sont dérangeants et bouleversants, et durs, car ils sont lucides. On aimerait qu'une proportion un peu moins infime d'êtres humains le soient également un peu plus.
Deux photos de Jean Hilliker en ilustrations, la deuxième avec James Ellroy dans les bras
Ci-dessous une vidéo où Ellroy parle de L.A sa ville maudite.