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« Personne n'écoute réellement les autres et si vous essayez une fois, vous verrez pourquoi »
Mignon McLaughlin dans « Le meilleur de la méchanceté » de Sébastien Bailly
« -ça court les rues les grands cons !
-Oui mais celui-là c'est un gabarit exceptionnel. Si la connerie se mesurait, il serait à Sèvres »
De Michel Audiard dans « le Cave se rebiffe », dit par « le Dabe », Jean Gabin

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En 2011, un des personnages plébiscités par ceux qui regardent la télévision est un médecin à première vue méchant, irascible, arrogant, cynique et impitoyable, le Docteur House, qui ne croit pas en plus en grand chose et n'a aucune certitude sur l'existence. Si le personnage est tellement populaire, ce qui peut paraître paradoxal, c'est qu'il se permet de dire ce que tout le monde ou presque garde normalement pour soi-même : révéler la duplicité, les petites lâchetés, les petits et grands compromis, ce que cache les bons sentiments des uns et des autres etc...
Pourtant, pour ne choquer personne, notre époque multiplie les préventions souvent ridicules de vocabulaire :
On ne dit plus un gros, on dit, en surpoids, on ne dit plus un aveugle, mais un malvoyant, on ne dit plus nain mais « petite personne », on ne dit plus mari dans certains cercles, mais « violeur légal » etc...
(Note personnelle : pourtant on ne dit pas « individu à compréhension différée » pour un con, ou « Individu féru d'introduction liminaire » pour un enculé.)
A ce lien on trouvera une liste des mots qu'il ne faut pas dire, qui sont tabous, et ceux qu'il convient de prononcer.
Hier était donc célébré la journée de la gentillesse et de la bienveillance, deux idées que l'on confond avec la notion de respect, des notions finalement très floues pour notre époque qui les met à toutes les sauces, à commencer par les plus fades, et qui se résument en fait à ceci :
« Laisse moi faire et dire tout ce que je veux tranquillement, même si c'est complètement stupide, pour que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
On n'a jamais autant vu de manifestations de sensiblerie déplacée et frelatée, de pleurs -de crocodiles- qu'actuellement. Bientôt, le froid revenant, nous allons avoir le droit aux mêmes refrains englués de bons sentiments qu'habituellement au premier sans-abri mort à cause du froid, mort que les amateurs de grandes déclarations sur la pauvreté se hâteront d'oublier une fois les fêtes passées.

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Est donc méchant celui qui rappelle deux ou trois faits indubitables, ainsi que le note Sébastien Bailly dans sa préface à son livre « le meilleur de la méchanceté » paru aux éditions « Mille et Une nuits », un opuscule indispensable dans la poche de toute personne capable d'humour, de recul et d'un minimum de dérision sur notre époque compilant des remarques de Desproges, Jeanson, Jules Renard et d'autres.
Évidemment, ainsi qu'il le souligne, ces « méchants » là ne sont pas véritablement des salauds, des vilains, ce sont simplement des empêcheurs de tourner en rond qui s'offrent la suprême liberté de dire ce qu'ils pensent réellement des hypocrisies sociales diverses et variées qui sont encore légions à notre époque se voulant pourtant libérée de la morale traditionnelle :
De l'homme ou la femme de gôche (ou de drouâte d'ailleurs) qui ne rechigne pas à fréquenter un milieu qu'il ou qu'elle aura préalablement largement conchié tout en ayant hâte d'en faire partie, sans y voir de contradictions, à l'« humaniste » de comptoir, ou de salon, qui veut bien parler d'intégration et de mixité sociale, tout ça, mais qui ne collerait pas sa progéniture dans un collège ou un lycée de ZEP.
Il ne faut pas déconner.
C'est la fameuse méthode socratique, qui consiste à provoquer et choquer l'interlocuteur pour le pousser à réfléchir plus loin que ses certitudes habituelles : appuyer là où ça fait mal, voire très mal. C'est une méthode dangereuse, car on se souvient ce qui est arrivé à Socrate, obligé de boire la ciguë (peut-être même que c'était dans un verre à moutarde, pour rajouter une faute de goût au supplice).
Diogène était également le genre à employer ce genre de discours qui le faisait mal voir des bêtes de somme qui ne veulent surtout pas sortir des rails imposés par la société. Il poussait parfois le bouchon un peu loin puisque l'on dit qu'il se masturbait et déféquait en public pour « questionner les faux-semblants » pour employer les termes pudiques d'un de ces savants exégètes.
C'est la méthode généralement la plus efficace pour se guérir de travers embêtants.
C'est aussi celle à laquelle la société renâcle le plus préférant porter au pinacle l'un ou l'autre, en sachant très bien que quelques temps plus tard, l'on déboulonnera l'ancienne idole avec acharnement.
Par exemple, je trouve étrange que tant d'adulateurs d'Obama en 2008 ne se souviennent plus de leur adulation fébrile du président américain actuel, qui s'est révélé peu ou prou dans la même ligne que son prédécesseur, excepté le fait qu'il paraisse plus sympa et que se photogénie est plus marquée.
Ce genre d'amnésie a également touché les électeurs de François Mitterrand lors de la fin de « l'état de grâce », vers 1983, plus personne ou presque ne se souvenait avoir voté pour lui au moment de la rigueur. On me dira, cela ne les a pas empêché de le réélire en 1988.
Ce genre d'affection finalement bénigne a également touché les personnes ayant voté Sarkozy en 2007. Elles n'arrivent pas à se rappeler ce qu'elles ont mis dans l'urne lors des dernières présidentielles.
Au bout du compte donc, le « méchant » veut surtout le bien de son prochain puisqu'il a pour idée de l'aider à se libérer de ce qui l'empêche d'être réellement libre et de se construire une pensée vraiment personnelle hors de la tribu, de la communauté, du groupe social, bref de sortir du troupeau.
Attention, ne confondons pas cette vraie gentillesse que l'on distingue chez le « méchant », le « cynique », avec la manie qui consiste à rechercher chez les ironistes ou les humoristes réputés irrévérencieux, ce qu'aucun d'eux n'est vraiment en 2011 à l'exception peut-être de Fabrice Éboué ou Gaspard Proust, et dans une certaine mesure de Dieudonné, cette part de « rose bonbon » que n'importe quel être humain a en lui.
L'auteur de ces lignes ne va pas s'en glorifier, car le troupeau lui dit que c'est mâââl de le faire mais il est lui aussi réputé méchant, même méchant comme une teigne pour diverses raisons inavouables ou pas, un misanthrope. Il paraît même que la seule différence qu'il a avec le Docteur House, quant à son caractère, c'est sa canne. Ce n'est pas bien grave, je préfère passer pour un mauvais apôtre et provoquer parfois la réflexion, et l'échange, même musclé, qu'un bon apôtre et ronronner dans le confort intellectuel.
Ci-dessous un sketch "méchant" de Desproges
Les Juifs par pierredesproges