pour la Terre Sainte
Fragments d'un journal en Palestine 16 – Rencontre avec une israélienne patriote ardente, poète sensible, peintre de l'absurde et naturellement complexe, Niki Vered Bar
Le site de Niki
J'ai rencontré Niki à l'accueil de l'Hôpital Saint Louis à Jérusalem où j'allais souvent pour ramener en catimini des cigarettes et autres cigarillos libanais à Marc, coopérant en ce lieu à qui sa femme interdisait théoriquement de fumer. Comme beaucoup d'israéliens, Niki devait avoir un deuxième travail pour vivre et se loger. Comme la plupart de ces compatriotes, et comme les palestiniens, elle était d'une sensibilité à fleur de peau, qu'elle canalisait avec talent par l'écriture et la peinture. Depuis quelques années, elle propose la création de sites et leur mise en images en Israël et en France et continue à montrer beaucoup de créativité.
Celle-ci se traduisait aussi par un humour caustique réjouissant et assez tranchant, et plusieurs de nos conversations et des conversations qu'elle avait avec Marc et son épouse étaient un « ping pong » verbal à fleurets pas toujours mouchetés, surtout quand il était question de la politique israélienne, sujet sur lequel elle était intraitable, et patriote, une patriote ardente qui répondit une fois à une remarque sur les chars de « Tsahal » passant devant l'hôpital, ce qui avait le mérite de la clarté :
« Les chiens aboient la caravane passe ».
Un soir je vis une grosse bosse à la ceinture sous un des amples pull-over qu'elle aimait revêtir les soirs d'hiver, où il ne fait pas si chaud dans la « ville des villes ». Je ne lui demandais pas ce que c'était mais Marc me le dit, Niki, qui était aussi auxiliaire civique de police, portait quasiment en permanence sur elle un « automatique » chargé, au cas où....
Après avoir lu un exemplaire de ma gazette « le Clairon de Sainte Anne », où je faisais quelques remarques ironiques sur le quotidien des policiers israéliens, elle me fit un avertissement sibyllin sur le fait que cela pouvait me valoir d'être interrogé par la police, et expulsé.
Ce fut elle aussi qui me trouva mon surnom parmi les coopérants et volontaires français qui me resta jusqu'au bout des deux ans : « Boule de suif ».
Elle fit son « Aliyah » en 1971, arrivant de Strasbourg où elle s'appelait Nicole, étudiant à l'Académie des Beaux Arts de la Ville Sainte des juifs, des chrétiens et des musulmans et s'y installant. Elle peint des toiles qui sont souvent des portraits de personnages qui évoquent Tomi Ungerer, en plus doux, et écrit des livres, comme le roman paru en 1999 « les escargots sauvages » (aux éditions Libraires-Racine) qui rappellent des chroniques de Vialatte qui aurait subi l'influence de Kafka, adorant jouer avec les mots, ayant la passion de la littérature et de l'écriture.
Je lui dois d'avoir pu continuer à lire et découvrir aussi de nouveaux auteurs, de nouveaux horizons pendant ces deux ans. Je lui dois aussi la découverte du quartier des artistes à Jérusalem, dont un luthier extraordinaire prèsla rue Ben Yehuda, et aussi à Ein Karem. Elle était également très amie avec Amos Gitaï et des comédiens israéliens de milieux donc très libéraux sur le plan politique et religieux. Rien n'étant simple, rappelons que Ein Karem n'était pas une terre vide, que pour bâtir ce charmant petit quartier excentré d'artistes avec ses cafés tellement pittoresques, il fallut détruire quelques petits villages palestiniens.
Habiter à Jérusalem pour un israélien n'est pas une décision prise au hasard, c'est un choix de vie profond qui engage l'âme et le cœur, l'esprit et les entrailles, car la ville n'est pas des plus agréables ni des plus accueillantes. La tension, même lors de la période où j'y ai vécu, qui était particulièrement apaisée comparée aux deux « Intifadahs », y était palpable, et parfois insupportable pour des personnes se rendant dans cette ville chargée de symboles, d'histoires et de querelles.
Habiter Jérusalem pour un israélien c'est être convaincu que cette ville appartient d'abord et avant tout au peuple juif, même si cette conviction n'exclut pas le partage éventuel de son patrimoine perçu d'un point de vue qui tenait parfois d'un certain messianisme de ce peuple, « lumière des nations », peuple élu guidant les autres peuples vers la compréhension et la paix, l'équité et la justice.
Cependant Niki était également très consciente des questions liées aux droits de l'homme et à la préservation des cultures ou des peuples traditionnels étant également membre de l'UNESCO depuis 1981 et d'« Amnesty International ». A nos yeux, aux miens, cela peut sembler incompatible avec son patriotisme très accentué, et légitime, aux siens cela ne l'était pas.
En bons occidentaux, nous eûmes parfois des discours un rien lénifiants à lui répondre, de ces discours plus ou moins néo-colonialistes où les européens se mêlent de faire la morale aux autres, méconnaissant le plus souvent totalement les sujets qu'ils abordent, comme ce que l'on peut entendre actuellement sur la Syrie, où ce ne sont que 10% des syriens qui soutiennent réellement les « rebelles » qui sont d'abord et avant tout un agrégat de groupes fondamentalistes.
Je crois que cela s'expliquait par cette idée un rien messianique de l'ensemble de son peuple, le tout étant que les autres peuples comprennent, même par la force, ce rôle central et bénéfique, légitimé selon elle, comme beaucoup d'israéliens, par les souffrances effectivement incontestables et dramatiques vécues par les juifs de par la Shoah, dont Niki défendait farouchement la mémoire nous encourageant vivement, ce que nous fîmes, à aller à « Yad Vashem ».
Selon elle, et là encore partageant le point de vue de nombreux de ses compatriotes, des américains pentecôtistes et des catholiques des communautés charismatiques, la construction d'un pays moderne comme Israël était un exemple de redressement extraordinaire de tout un peuple, qui n'avait plus besoin des autres pour se protéger, les autres nations ayant été jugées plus ou moins indifférentes au sort des juifs pendant l'Holocauste, voire hostiles, comme en Pologne, ce qui hélas exact, ou s'étant dans leur ensemble gravement compromis avec les nazis. C'était oublier qu'il y eut aussi des « Justes » et que même lors de la rafle « du Vel d'Hiv », il y eut des policiers pour prévenir de nombreuses familles la veille de fuir, ce que certaines d'ailleurs ne firent pas étant convaincues que la police française n'arriverait jamais à de telles extrémités.
Niki, pour ces raison, ne comprenait pas que l'ambassade de France soit à Tel Aviv et non à Jérusalem, ne comprenait pas qu'il y ait deux célébrations du 14 Juillet pour les francophones : une à Sainte Anne, pour les palestiniens et les expatriés plutôt favorables à la cause de la Palestine, et une au Consulat de France pour les israéliens et les expatriés ayant des sympathies plus du côté hébreu. Nous assistions quant à nous aux deux journées, certes avouons le pas vraiment par volonté de rester neutres mais pour avoir deux occasions de boire du champagne autrement meilleur que le champagne israélien, plus proche du « prosciutto » italien, vin de dessert certes de temps à autre sympathique.
Elle avait également une pratique religieuse plus laïque et apparemment moins intransigeante que les « ultras » du quartier ultra-orthodoxe. Ainsi, elle allait aux offices non pas du « Kotel », le « Mur des Lamentations », qui est un lieu de culte des « ultras », mais à la Grande Synagogue de Jérusalem où l'on peu trouver des femmes rabbins. Elle nous invita même à célébrer « Hanukah » avec elle et quelques amis. Cependant, cela ne signifiait absolument pas qu'elle était plus laxiste sur la question des prescriptions « kascher », comme des amis qui gardaient son appartement purent s'en apercevoir, ceux-ci commettant une négligence à ses yeux en mélangeant des couverts, donc non « purifiés » leur appartenant aux siens.
Pour ses conceptions très pures, idéales et droites, de son peuple, de sa foi, de son art, elle était infiniment respectée par Zidane, que j'ai évoqué plus avant, qui trouvait qu'elle avait de l'honneur à défendre avec une telle constance ses convictions bien différemment des occidentaux qui endormis dans leur confort matériel et intellectuel sont dans leur grande majorité à la fois cyniques, désabusés et surtout soucieux de préserver ce confort tout en jouissant au maximum des quelques privilèges dont ils disposent encore un peu.
Niki portait ses convictions avec la même flamme que la plupart des israéliens, raison pour laquelle on ne peut pas affirmer que Israël est tout à fait un morceau d'Occident implanté en plein milieu du Proche Orient. Même aux yeux d'un militant palestinien comme Zidane, la présence du peuple juif en Palestine avait du sens sauf que lui inversait le point de vue accordant aux musulmans ce rôle de Messie collectif.
Cette complexité des motivations des individus israéliens ou palestiniens les pro-sionistes autistes et les anti-sionistes délirants ne la comprennent pas, ne veulent pas la comprendre, préférant jeter de l'huile sur le feu ou jouer à la guerre civile par personnes interposées, le pire étant qu'à Jérusalem parmi les plus acharnés de ces militants d'un bord ou de l'autre on trouvait aussi parfois des religieux, certains allant jusqu'à justifier la haine.
image de Yad Vashem prise sur "le web pédagogique"
image du quartier "Ouest" de Jérusalem pris sur le blog de "visceraoul"