Ais-je souffert du « syndrome de Jérusalem » ?
Dans Jérusalem, que ce soit près du Saint Sépulcre ou dans toute la Vieille Ville, il n'était pas rare de croiser des fous mystiques atteints du « syndrome de Jérusalem », une folie douce qui est une affection psychologique réelle, diagnostiquée et étudiée dans les hôpitaux israéliens consistant à sombrer dans un millénarisme délirant, voire un messianisme farfelu, et à se conduire en illuminé extrêmement extraverti :
Ainsi cet ancien pasteur américain qui passait ses journées à lire la Bible à haute voix sur le mont des Oliviers, ainsi ses vieilles femmes en extase embrassant, étreignant farouchement et passionnément les piliers et colonnes des monuments religieux de la ville, ainsi ces étudiants étrangers se mettant à voir dieu en rêve, leur intimant l'ordre de prier pour telle ou telle cause (les ordres reçus semblant tous être dirigés dans un seul but, mettre en valeur celui qui était censé les appliquer en le consolant de ses frustrations) etc...
Précisons que le « syndrome de Jérusalem » ne concerne pas le mysticisme réel ni la foi assimilée parfois par la psychanalyse à une hystérie, ce qui serait réducteur, l'art devenant par conséquent une simple sublimation et rien d'autres. Certains pèlerins et touristes étaient atteints selon moi d'une version plus calme de cette affection, moins démonstrative, mais aux conséquences humaines beaucoup plus dangereuses. A la rigueur, je préférais les vieilles dames folles d'amour pour Jésus Christ au Saint Sépulcre que ces malades atteints d'une version beaucoup plus ennuyeuse du « syndrome de Jérusalem » et visiblement contagieuse.
Ces vieilles folles ainsi que les autres fous rencontrés là-bas font partie de la même « Cour des Miracles » des croyants que moi, pauvres hères, êtres humains certes pitoyables mais capables d'aimer encore, quand même, un tout petit peu....
Généralement totalement ignorants de l'histoire de la Terre dite Sainte, y compris de celle de leur propre foi, mais remplis de certitudes absolues sur le sujet, ils blessaient plus ou moins inconsciemment mais toujours gravement les palestiniens chrétiens ou musulmans, les israéliens par des considérations surtout marquées au coin par leur bêtise affichée sans complexes, légitimée par un pseudo-mysticisme ou la présence de ceux les prononçant sur la terre même des Écritures.
A chaque fois ou presque, cela provoquait des violences, psychologiques et physiques, qui pouvaient être des plus graves. J'ai même en mémoire l'une d'elles qui a conduit à la mort d'une enfant du fait de l'entêtement sans fondement d'un de ces idiots criminels sans même s'en rendre compte alors que la guérison de cette petite aurait pu être un signe d'espoir éclatant.
Des membres du « Chemin néo catéchunénal », « nouvelle communauté » chrétienne vivant selon des règles de vie à la limite du sectarisme comme la plupart des « nouvelles communautés », avaient par exemple décidé de traverser toute la Vieille Ville musulmane et chrétienne en chantant des psaumes hébreux à pleins poumons dont certains sont devenus des chants nationalistes israéliens chantés par les soldats de Tsahal quand ceux-ci sont entrés dans Jérusalem Est en 1967, ou quand ils ont envahi la Cisjordanie.
C'est un peu comme si l'on demandait en quelque sorte à un alsacien d'écouter sans émotions quelqu'un chanter « Deutschland überlalles » à côté de lui sans réagir....
Des touristes religieux du même acabit, ce sont souvent des charismatiques, avaient fait un grand cercle à Jéricho, se donnant la main, se laissant aller à une sur-affectivité mièvre que j'ai personnellement en horreur quand il s'agit de foi, et ceci juste devant une « colonie » israélienne, ce qui avait été pris comme une provocation par les palestiniens, ce qui avait provoqué des émeutes en ville après le départ protégé par l'armée des imbéciles à l'origine de cette poussée de haine qui ne comprirent s ans doute jamais les conséquences de leurs bons sentiments complaisamment étalés.
Je me souviens aussi de la présence de la « Communauté des Béatitudes » à Bethléem non loin de la fausse « Tombe de Rachel », tenant la véracité de ce lieu comme absolue, ne comprenant pas le mal que cela causait à suivre aveuglément les promoteurs de ce lieu historiquement totalement faux.
La sottise de ces gens les poussaient généralement à soutenir une politique israélienne très agressive et à considérer les palestiniens comme des intrus en Terre Sainte, des « immigrés » tout juste bon à servir de manœuvres ou de maçons, à avoir une peur bleue et injustifiée de s'aventurer dans les « Territoires », tout surpris quand ils y parvenaient enfin, surmontant leur préjugés, que personne ne leur tranche la gorge.
A leur décharge, la sottise de certains européens côté palestinien, refusant absolument tout échange, toute possibilité de dialogues avec les israéliens était tout autant problématique. Beaucoup d'occidentaux considéraient la Palestine comme un terrain de jeux politique et spirituel, une sorte d'immense possibilité de jouer aux « gendarmes et aux voleurs » sans remettre en question son propre confort matériel ni intellectuel, et une occasion de se mettre en avant, et de trouver une forme de reconnaissance longtemps recherchée en France, mais jamais atteinte, en jouant les sauveurs des palestiniens.
Je me souviens de deux d'entre eux, tous deux comme d'autres, en tenue fantaisiste, et à leur idée, selon leurs fantasmes, de « fiers nomades du désert », que j'accompagnai avec un autre coopérant dans la « Vieille Ville », nous étions devenus en somme des « fixers » pour les occidentaux désirant un « cicerone », nous sortant au bout de quelques instants, et ce malgré leurs discours grandiloquents sur la fraternité et leur « citoyenneté du monde » le refrain sur « le bruit et l'odeur » des quartiers arabes, et leur inconfort de petits occidentaux sur-nourris et confits dans leurs certitudes arrogantes à supporter cela.
A Jérusalem, point de songe mystique pour moi, point d'apparition divine pendant mes nuits, je faisais par contre souvent le même rêve, la « Via Dolorosa », qui était ma rue remontait jusqu'à celle que j'habitais en France, qui était alors toute proche de celles où habitaient mes amis les plus chers.
Dans mon sommeil, j'étais un peu surpris mais trouvait cela très pratique au fond. Je l'interprète du fait que mes proches, ma famille, mes amis, mes amours aussi, ont toujours été avec moi en cœur ou en esprit, je partais avec tous ces sentiments d'affection filiale, fraternelle, et aussi amicale, qui ne m'ont jamais quittés une seconde. Mes amis, mes parents, mon frère, mes sœurs, mes amours ne m'ont jamais quitté une seconde
D'où la joie que j'ai pu ressentir quand j'ai pu partager mon bonheur d'avoir enfin trouvé ma « terre sainte » sur place, partageant tout cela, malgré la violence et la haine toujours fortement prégnantes. La légèreté et la futilité superficielles aux yeux des cuistres et des personnes atteintes du « syndrome de Jérusalem » deviennent alors une obligation pour montrer que force reste à la vie, à l'humanité, qui se traduisait là-bas par un sens de l'accueil toujours remarquable et des attentions aux autres toujours d'une grande délicatesse pour peu que l'on sache les accueillir.
A « Sainte Anne - Salahyeh » où j'habitais, il m'arrivait souvent de sortir le soir dans les ruines de la piscine antique de Bethesda et de contempler, appuyé sur un reste de mur byzantin, les étoiles innombrables au dessus de la ville, dans le ciel clair. De par la topographie des lieux, l'esprit s'en exhalant aussi, derrière la ligne d'horizon, derrière la courbure de la terre, j'avais vraiment le sentiment profond que le monde entier était juste là derrière et orgueilleusement, ou romantiquement, je ne sais pas, je voyais vraiment Jérusalem au centre non pas de tout l'univers mais de mon monde intérieur.
Je n'entendais plus alors les bruits incessants de la ville : les plaintes douloureuses et nostalgiques des « muezzins », les sirènes de police des policiers israéliens, les chants des croyants au loin, les cloches de la paroisse franciscaine. L'air était empli des parfums des épices, des herbes aromatiques, du café à la cardamone, des agrumes, des oliviers millénaires, selon la légende, du jardin de Gethsémani, lieu qui n'était qu'à cinquante mètres de chez moi. Lors des tentations de me laisser aller au cafard, aux lamentations, il me suffisait pour me ressaisir de faire quelques pas dehors et goûter la douceur paradoxale de l'air, douceur qui était une idée du bonheur.
Car cette Terre dite Sainte contre toute attente est aussi et surtout une terre très charnelle, les collines de Judée ayant des formes de corps féminins languissamment étendus, en sensualité, sensualité niée par tout les fanatiques, sensualité nous rapprochant de notre humanité car elle incitait à aimer la beauté des choses et des êtres. C'était, il faut dire, une sensualité d'avant le péché originel, sans aucune perversité, une idée de la Vie en somme....
image du haut, personnes atteintes du syndrome de Jérusalem prise ici
image du bas, paysage de Judée, image prise ici